M. Night Shyamalan : «Trap est la première bande originale conçue pour un tueur en série» (2024)

Parler d’un film deM. Night Shyamalan(Sixième sens, Glass), c’est marcher sur les œufs tant le réalisateur tient à éviter les spoilers pour garder le sel de ses rebondissem*nts intact. Avec Trap («Piège» en VF), en salle mercredi, le cinéaste américano-indiendélaisse le surnaturelpour le thriller musical. Père de famille attentionné, Cooper (Josh Hartnett), est aussi un tueur en série. Lorsqu'il emmène sa fille Riley (Ariel Donoghue) à un concert de la superstar de R'nB Lady Raven, il ne se doute pas que l'événement, qui se joue à guichets fermés devant 30.000 spectateurs, est un guet-apens tendu par la police pour le mettre derrière les barreaux. Cooper a jusqu’au rappel de la star pour trouver une porte de sortie, sans éveiller les soupçons de sa fille et des forces de l’ordre.

Ne craignant pas les accusations de népotisme, fort décrié à Hollywood, M.Night Shyamalan a fait de ce huis clos une affaire de famille. Le rôle de Lady Raven est tenu par sa fille de 18 ans Saleka Shyamalan, aussi à la tête du répertoire de la chanteuse fictive. Épaulé par Josh Hartnett, le réalisateur décrypte, via Zoom et depuis Londres, ce projet hybride.

«Trap doit autant à Saleka qu’à moi. Nous cherchions une idée qui nous permettrait de fusionner nos deux arts: le cinéma et la musique, assure le fier patriarche. Nous avions vu A Star Is Born de Bradley Cooper et Seleka se demandait s’il était possible d’écrire non pas trois ou quatre chansons pour un artiste fictif, mais un album entier!» Le duo se met au travail. «J’adore m’amuser avec les codes. Se lancer sur un thriller entièrement basé sur la musique a piqué ma curiosité», avoue le cinéaste de 54 ans, qui a souvent accompagné ses filles en concert.

Rosalia comme inspiration

Compositrice de R’nB, Saleka Shyamalan est restée dans ce registre. «Saleka est plus réservée que Lady Raven. Pour le film, elle a adopté une personnalité plus extravertie, impertinente et plaine d’entrain qui fait des clins d’œil à la foule. Lady Raven doit beaucoup à la chanteuse Rosalia. Notamment sur les questions de chorégraphie et son attitude sur scène», décrypte M. Night Shyamalan. Les tubes de Lady Raven ne devaient pas seulement électriser le public, il fallait aussi que le tempo, l’allégresse de ses morceaux reflètent la trajectoire et l’évolution psychologique de Cooper. «Je crois que nous avons produit la première bande originale pop qui adopte le point de vue d’un tueur en série», s’amuse le réalisateur.

Pour que tout cela apparaisse à l’écran, il fallait pouvoir élaborer un vrai concert dans le film. Une performance crédible. «Quand j’ai signé pour Trap, je n’avais pas compris que j’allais assister à un vrai concert, confesse Josh Hartnett. M. Night Shyamalan avait distribué aux milliers de figurants le disque de Lady Raven pour qu’ils se familiarisent avec les morceaux et puissent les chanter à tue-tête et danser en rythme! Sur place tout y était: la fosse remplie, les danseurs, les choristes.» Le dispositif a mis une dose d’imprévisibilité sur le tournage. «Josh a dû apprendre à moduler sa performance en fonction des réactions du public. Il y avait des visages et donc des gros plans qui prenaient vie sous nos yeux et qu’il fallait capter dans l’instant», note M. Night Shyamalan. La ferveur du public a décontenancé Josh Hartnett qui la trouvait exagérée jusqu’au jour où il s’est lui-même rendu à un concert de Taylor Swift, lors desa tournée pharaonique The Eras Tour. «Je me suis rendu compte que la frontière entre notre fiction et la réalité n’existait plus. Les bracelets lumineux, la mer de téléphones portables allumés...».

Un tueur d’abord, un père ensuite

Le comédien, réapparu dansOppenheimer après une éclipse, s’est documenté sur les tueurs en série pour façonner le charisme persuasif et suave de Cooper, capable de susciter l’empathie même quand sa nature est révélée. «Il fallait trouver la bonne note psychologique. Cooper est d’abord un meurtrier, ensuite un père. Sa famille est une identité qu’il s’est construite, derrière laquelle il s’abrite. Aller à ce concert, c’est soudainement mélanger le contenu de ces deux compartiments étanches. Contempler l’euphorie de sa fille touche quelque chose de sincère en lui. Il arrive enfin à trouver son cœur, analyse Josh Hartnett. Cette découverte associée à l’immense pression de cette souricière sur ses épaules érode sa capacité à se contrôler et fait apparaître une manie délicieuse à jouer, comme une veine qui bat sur le front.»

Pour M. Night Shyamalan, la pression naît de ce dispositif du huis clos qui émaillesa filmographie, du Village à Old en passant par Knock at the Cabine. S’il ne souhaite pas décrypter comment il décline ce motif dans Trap, il admet: «Je ne suis pas un James Cameron ou un Steven Spielberg qui ne s’interdisent rien. Ma créativité se nourrit de contraintes. Sans ce cadre, je sèche». «On m’avait proposé de réaliser Troie, le film avec Brad Pitt. La première image qui m’est venue est celle de deux guerriers combattant au pied d’un mur écroulé pendant que la bataille faisait rage à quelques rues de là. Je ne voulais pas la montrer, juste laisser entendre son fracas et me concentrer sur ces deux adversaires», s’alarme-t-il. Le péplum reste donc encore une terre inconnue.